Du scandale à la transparence : comment la France a introduit le Sunshine Reporting en Europe
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May Khan est à la tête de l’équipe des services de conformité de Vector Health, une entreprise SaaS axée sur la conformité dans le secteur des sciences biologiques. Son expérience inclut le rapport sur la transparence mondiale, la stratégie de la Sunshine Act et le suivi des risques pour les professionnels de la santé. Chez Vector, elle coordonne des équipes interfonctionnelles axées sur l’intégrité des données, le service client et l’alignement réglementaire.
Vector Health Compliance
Le principal partenaire italien pour la conformité à la loi Sunshine
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En 2010, la France a été marquée par le scandale du Mediator, une catastrophe sanitaire qui a révélé les conséquences dramatiques de relations insuffisamment contrôlées entre laboratoires pharmaceutiques et professionnels de santé. Le Mediator — un médicament initialement indiqué dans le traitement du diabète mais souvent prescrit hors AMM comme coupe-faim — a été associé à des centaines, voire des milliers, de décès liés à des valvulopathies et à de l’hypertension pulmonaire. La mise en lumière de défaillances réglementaires et de conflits d’intérêts a provoqué une indignation nationale et une profonde perte de confiance dans le système de santé.
La réponse a été la « loi Bertrand », officiellement la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Ce texte, aujourd’hui couramment désigné sous le nom de « Sunshine Act français », s’articule autour de trois axes principaux :
- La transparence des relations entre les entreprises de santé et les acteurs du secteur ;
- La réorganisation de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), devenue l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ;
- Un renforcement du contrôle des médicaments afin de mieux protéger les patients.
Depuis, le Sunshine Act français s’est précisé au travers de décrets d’application, établissant un cadre juridique contraignant applicable aux entreprises pharmaceutiques comme aux entreprises de dispositifs médicaux. Pour les professionnels de la conformité, la maîtrise de ces obligations est essentielle.
Qui est concerné ?
Le champ d’application de la loi française sur la transparence est volontairement large. Les obligations s’appliquent à :
- Les entreprises pharmaceutiques (fabricants et exploitants de médicaments) ;
- Les entreprises de dispositifs médicaux et de diagnostic in vitro (IVD) ;
- Les entreprises de cosmétiques (lorsque les produits sont destinés à un usage humain) ;
- Les prestataires de services liés à ces secteurs ;
- Les entreprises étrangères : toute société non française concluant des conventions avec des acteurs de santé établis en France ou leur accordant des avantages est également tenue de déclarer.
Quels bénéficiaires sont couverts ?
Les déclarations doivent inclure les interactions avec un large éventail d’acteurs de santé et assimilés, notamment :
- Les professionnels de santé (médecins, chirurgiens-dentistes, infirmiers, sages-femmes, pharmaciens et étudiants) ;
- Les organisations de santé : hôpitaux, cliniques, associations professionnelles, sociétés savantes ;
- Les établissements de formation en soins ;
- Les associations de patients et d’usagers du système de santé ;
- Les fondations de recherche et cabinets de conseil ;
- Les éditeurs de presse et médias intervenant dans la communication santé ;
- Les éditeurs de logiciels de prescription ou de dispensation.
Cette définition étendue dépasse largement la relation classique entre médecin et laboratoire, obligeant les équipes conformité à suivre de très nombreux types d’interactions.
Que doit-on déclarer ?
La loi distingue trois catégories principales :
- Conventions : tout contrat créant des obligations réciproques (ex. un engagement de conférencier où le professionnel intervient, et où l’entreprise prend en charge les frais de déplacement et d’hébergement). Les conventions doivent être déclarées même en l’absence de flux financiers.
- Avantages : tout bénéfice accordé sans contrepartie, tel qu’une invitation, un repas, un transport, un hébergement ou la mise à disposition de matériel.
- Rémunérations : tout paiement versé à des PS ou à des structures de santé en échange d’un service (ex. honoraires de conseil, travaux de recherche).
Seuil : seules les valeurs égales ou supérieures à 10 € par bénéficiaire et par an doivent être déclarées — ce qui signifie que même de petites dépenses d’hospitalité deviennent déclarables une fois cumulées.
Comment et où déclarer ?
Toutes les déclarations doivent être effectuées via le portail gouvernemental Transparence Santé.
Délais (Art. R.1453-5 CSP) :
- Les conventions, avantages et rémunérations de la période du 1er janvier au 30 juin doivent être déclarés avant le 1er septembre ;
- Ceux de la période du 1er juillet au 31 décembre doivent être déclarés avant le 1er mars de l’année suivante.
Publication : Les données sont publiées pendant une durée de 5 ans. La réglementation impose également la poursuite de la publication des conventions de longue durée au-delà de cette période : pour une convention dont la durée excède cinq ans, les informations correspondantes doivent être à nouveau publiées ou maintenues en ligne à l’issue du délai. Ainsi, certaines conventions peuvent rester accessibles plus longtemps.
Validation : Les dépôts doivent passer les contrôles techniques du portail (identifiants corrects, TVA, catégorisation précise). Les erreurs empêchent la publication.
Déclarations groupées : Les maisons mères peuvent centraliser les dépôts pour leurs filiales.
Sanctions et contrôle
Le non-respect des obligations entraîne des sanctions significatives :
- Pour les personnes physiques : amendes pouvant aller jusqu’à 45 000 € et peines d’emprisonnement ;
- Pour les personnes morales : amendes pouvant aller jusqu’à 225 000 €.
Compte tenu du caractère public des données, les conséquences réputationnelles dépassent souvent les risques financiers.
Points clés pour la conformité
Pour répondre aux exigences de la loi française, les entreprises doivent :
- Investir dans des outils intégrés : systèmes permettant le suivi en temps réel des interactions et des dépenses liées aux PS et aux structures de santé ;
- Former les collaborateurs et partenaires : veiller à ce que les équipes commerciales, médicales, marketing et les prestataires externes connaissent leurs obligations ;
- Reproduire les contrôles du portail en interne : mettre en place une logique de pré-validation pour détecter les incohérences avant soumission ;
- Gérer les contestations : prévoir des procédures claires pour répondre aux objections des PS concernant les données publiées ;
Accompagner les filiales étrangères : sensibiliser les entités non françaises à leurs obligations de déclaration en France.
Conclusion
Née d’un scandale sanitaire, la loi française sur la transparence s’est imposée comme l’un des régimes de déclaration les plus détaillés et exigeants en Europe. Pour les entreprises pharmaceutiques, MedTech et autres acteurs des sciences de la vie, il ne s’agit pas d’une simple formalité administrative mais d’un système contraignant, piloté par l’État, qui établit un standard de responsabilité publique.
En maîtrisant son champ d’application, ses obligations et ses modalités opérationnelles, les équipes conformité peuvent éviter les sanctions, protéger la réputation de leur entreprise et anticiper la tendance européenne vers une transparence centralisée et contrôlée par les autorités publiques.
Dans un contexte mondial marqué par l’exigence d’intégrité, le Sunshine Act français dépasse le cadre d’une loi nationale : il constitue désormais un modèle de bonnes pratiques en matière de conformité.